Mars 2025

Petit précis pour vaincre le cynisme

(y compris le nôtre)

Le poids des nouvelles

Tous les matins, nous sommes assaillis par une avalanche d’informations : guerres, injustices, tyrannies, catastrophes climatiques. Alors nous buvons notre café en pestant contre ces nouvelles sombres, puis nous reprenons le fil de nos journées comme si de rien n’était. Parce qu’il faut. Dans le métro, je croise les visages, l’air morne, absorbés par la lumière bleue de leurs écrans. Quelques résistant·e·s luttent, livre à la main.


Les années passent et s’affirment avec elles l’impression que tout empire. À quoi bon y croire ? Autant se faire une raison et ne plus rien attendre, non ? L’optimisme est au mieux un luxe, au pire une naïveté tandis que le cynisme, lui, est si tentant mais surtout, si facile à adopter. Voyez, le cynisme c’est cela : une réponse logique, une armure qui défait l’espoir, certes, mais qui a le bon goût de nous protéger de la déception. On y va en pente douce, les bras et le cœur ballants, sans même s’en apercevoir. Déjà présent dans nos discours, nos médias et nos interactions, le cynisme nous enferme dans une vision désabusée du monde. Mais est-ce réellement une posture de lucidité ?

Entre illusion de clairvoyance et piège mental



Le cynisme naît dans la Grèce antique avec Diogène de Sinope, qui dénonçait l’hypocrisie sociale et prônait une vie en rupture avec les conventions. Diogène, personnage fascinant de l’histoire, vivait dans un tonneau (ou dans une jarre, personne ne sait vraiment) et se promenait en plein jour avec une lanterne en disant : “Je cherche un humain”, dénonçant ainsi la fausseté des gens. Lorsque Alexandre le Grand lui demanda ce qu’il désirait, il répondit : “Ôte-toi de mon soleil”, affichant ainsi son profond mépris pour le pouvoir. Le cynisme contemporain, influencé par Nietzsche, est plus radical. Il ne critique plus seulement les normes, il rejette aussi l’idée même d’un idéal possible ou sociétal.

Aujourd’hui, le cynisme est souvent le fruit d’expériences personnelles marquées par la déception, la trahison ou l’injustice. Des études montrent que les individus ayant connu des échecs répétés ou des traumatismes ont tendance à adopter une posture cynique comme mécanisme de défense. Il s’agit alors d’un moyen d’éviter la douleur d’une nouvelle désillusion : “Si je n’attends rien des autres, je ne peux pas être déçu.” Le cynisme peut d’ailleurs commencer dès l’enfance : lorsqu’un enfant grandit dans un environnement où la méfiance est omniprésente, où les promesses sont rarement tenues et où la vulnérabilité est perçue comme une faiblesse, il apprend à voir le monde avec suspicion.


Le cynisme moderne se manifeste par une méfiance absolue envers les intentions humaines. Il se traduit par des avis tranchés et méprisants comme : “Mais je m’en fiche de l’environnement ! Je ne leur dois rien, aux générations futures !”, “Les femmes ? Mais arrêtons de leur faire croire qu’elles sont capables de diriger quoi que ce soit ! Leur place est à la maison, et les plus intelligentes d’entre elles le reconnaissent !” ou encore “Si la vérité payait autant que le mensonge, on la défendrait plus souvent.” En refusant toute discussion, les cyniques se drapent dans une posture de supériorité intellectuelle, convaincus qu’ils ne seront plus jamais dupes. Mais ce rejet du lien social et des idéaux conduit à une impasse. Ce n’est pas de la lucidité, c’est une défaite intériorisée.


Le cynisme se répand comme une pandémie, vend des idées creuses avec l’argument de vente le plus facile du monde : la suspicion. Devenir cynique, c’est ne plus avoir vraiment confiance en rien, c’est avoir cédé à ce qui nous trompe. À force, on se détache du sensible, du sacré, comme l’esthétique du monde, et attachons de moins en moins d’importance au lien qui nous permet de faire société. Simplement parce que c’est plus facile : on se raccroche aux raccourcis les plus rassurants, même s’ils ne tiennent pas l’épreuve du raisonnement.

Le cynisme est un danger public

Fort heureusement, de nombreuses études viennent soutenir ma thèse : le cynisme chronique est lié à un risque accru de dépression et d’anxiété. En ne voyant que le pire chez les autres et dans le monde, on finit par nourrir une vision négative de tout, y compris de la vie, ce qui affecte profondément notre bien-être mental. Il augmente les risques de maladies cardiovasculaires à cause du stress permanent. Lorsqu’on anticipe constamment la tromperie ou l’échec, notre corps réagit comme s’il était en état de menace permanent. Une personne cynique développe une méfiance excessive envers les autres et cela réduit ses appauvrit considérablement la qualité de ses relations et sa capacité à nouer des liens profonds. En entreprise, le cynisme est même associé à une baisse de la motivation et des performances professionnelles. Il isole, coupe des opportunités et enferme dans un cercle vicieux d’amertume et d’attente du pire.

Ironiquement, le cynisme est souvent la réaction attendue par les personnes malveillantes. Les démagogues, les manipulateurs et ceux qui cherchent à maintenir leur pouvoir savent que rien ne les sert mieux que la résignation et la méfiance généralisée. Plus les citoyens sont convaincus que tout est truqué, moins ils cherchent à s’impliquer non seulement dans la vie citoyenne mais encore moins dans un changement véritable.


Le scepticisme, l’alternative optimiste

Le cynisme nous enferme, tandis que le scepticisme nous libère. Contrairement aux cyniques, qui partent du principe que toutes les motivations humaines sont fondamentalement corrompues, les sceptiques doutent de manière méthodique et rationnelle. Le scepticisme consiste à suspendre son jugement tant qu’aucune preuve concluante ne permet de trancher une question.


Il trouve son origine dans la philosophie grecque antique avec Pyrrhon d'Élis, qui prônait l’époché, c’est-à-dire la suspension du jugement. Aujourd’hui, le scepticisme se traduit par une exigence de preuves et une remise en question rationnelle des affirmations. C’est notamment ainsi que s’opère la démarche scientifique. Une personne sceptique peut ainsi être optimiste quant au progrès de la connaissance et à la possibilité d’améliorer le monde grâce à la raison et à l’expérimentation. Pour être septique, il faut être optimiste : tant qu’on cherche le progrès, on croit encore en l’avenir.

Le contraire du cynisme, c’est le lien

Le cynisme enferme dans une vision négative du monde, alors que le lien à l’autre est ce qui permet de s’en extraire. Le contraire du cynisme, c’est le lien. La résilience, cette capacité à rebondir après les épreuves, ne se construit jamais dans la solitude mais dans le partage et le soutien. Les recherches en psychologie montrent que les personnes ayant un réseau social solide sont mieux protégées contre la dépression et le stress. Lorsque nous interagissons avec le monde, nous réalisons que les femmes et les hommes qui le peuplent ne sont pas toujours tromperie et manipulation. Il sont souvent bien plus bienveillants qu’on croit. 

Face à un monde incertain, nous avons deux choix : céder au cynisme, qui nous enferme dans l’amertume et l’inaction, ou adopter un réalisme engagé, qui refuse la fatalité et cherche à comprendre pour mieux agir. Il faut du courage pour sortir de nos illusions : un regard cynique ne change rien, alors qu’un regard porteur d’espoir peut tout transformer.

Je vous souhaite autant de scepticisme que d'optimisme.

Inès Leonarduzzi